Argumentaire : Freinectomies abusives

Collectif No Fakemed, 06/2022



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Quand les pratiques de soins non-conventionnelles n’ont pas le monopole de l’inutilité. Les consultantes en lactation, pédiatres, médecins généralistes, sages-femmes, professionnels de PMI, chirurgiens-dentistes quel que soit leur lieu et leur mode d’exercice constatent depuis quelques années une augmentation des demandes d’évaluation des freins de langue et de lèvres de la part des parents des bébés qu’ils accompagnent.

Ces demandes posent la question d’un surdiagnostic probable et, inévitablement d’un surtraitement.


Ces freinotomies et freinectomies (selon que la section est partielle ou complète) sont proposées par des professionnels qui appartiennent ou non, au champ de la médecine basée sur les preuves : chiropracteurs, consultantes en lactation, étiopathes, kinésithérapeutes, orthophonistes, ostéopathes, mais aussi certains médecins généralistes, pédiatres et ORL, chirurgiens-dentistes, professionnels de santé formés aux freins.

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Elles sont pratiquées pour de multiples symptômes : difficultés d’allaitement principalement, mais aussi pleurs, réveils fréquents, tensions, reflux, hoquet, coliques et gaz, nombreux symptômes non spécifiques, mais aussi en prévention de futurs troubles du langage ou du développement de la mâchoire. D’une façon générale, à partir de comportements normaux des nourrissons est créée une pathologie qui engendre beaucoup d’anxiété parentale.


Cependant, il n’existe pas de lien démontré entre les scores aux échelles d’évaluation des freins restrictifs et les difficultés rencontrées par les parents, d’une part parce que les échelles d’évaluation n’ont pas de fiabilité inter-opérateur [1] mais surtout parce que l’existence même de certains freins dits « postérieurs » n’est pas validée par les études. De nombreux consensus ont été produits en réaction à l’augmentation exponentielle des freinotomies (Cochrane [2] , NICE[ 3] , ADA [4] , American Academy of Otolaryngology-head and neck surgery [5] , Academy of breastfeeding medicine [6], etc.) montrant que les études étaient peu nombreuses, souvent de faible qualité et que les bénéfices de la freinotomie étaient restreints au confort de la mère et au volume de lait produit lorsque le frein lingual était antérieur (c’est à dire visible à l’avant de la langue).

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Le consensus est encore plus clair concernant les freins des lèvres : ceux-ci ne doivent pas être coupés. En effet, Il n’existe aucune preuve de l’intérêt d’une freinotomie labiale dans les difficultés d’allaitement, la prévention des troubles du langage et des diastèmes. Dans les études dont nous disposons, il n’y a pas toujours de précision sur le type de frein étudié et cela crée un malentendu dont profitent les professionnels pour qui cette question est devenue un enjeu financier important [7].


Cela pose des problèmes d’éthique quand on sait combien les parents sont vulnérables dans les premiers mois de vie de leurs bébés et comme il est difficile pour les mères de mettre en place un allaitement confortable et efficace dans une société où l’on culpabilise les parents, d’autant qu’ils cherchent toujours ce qui est le meilleur pour leurs enfants, quel qu’en soit le prix.
La freinotomie, qu’elle soit réalisée au laser, aux ciseaux ou au scalpel, reste un geste invasif qui pose un problème éthique vis-à-vis du nourrisson, la gestion de la douleur au cours de cet acte étant très dépendante des opérateurs. C’est aussi un geste non dénué de risque, comme tout autre geste chirurgical, aussi rapide soit-il [8].
Enfin, ces freinotomies sont souvent proposées avec des massages dans la bouche des bébés dans le mois qui précède le geste puis dans les six semaines qui suivent, ceci afin de « préparer » le frein puis d’éviter qu’il se reforme. Ces massages sont parfois décrits comme des tortures psychologiques par les parents et certains bébés seraient susceptibles des troubles de l’oralité, du fait des douleurs post-opératoires à la suite de ces intrusions répétées dans la bouche.
Certains parents, sur les conseils de ces personnes les accompagnant, arrêtent la supplémentation en acide folique avant et pendant la grossesse, car elle favoriserait les freins de langue, d’autres font des évictions alimentaires diverses et variées car les freins sont rendus coupables de provoquer des allergies, d’autres arrêtent la vitamine D pour la remplacer par des compléments alimentaires car les freins seraient susceptibles de provoquer des RGO. Ces éléments sont avancés sans aucune preuve tangible. La propagation de ce discours a lieu à tous les niveaux, que ce soit dans les réunions de pairs de soutien à l’allaitement mais également en ville ou en milieu hospitalier où de nombreux problèmes d’allaitement sont attribués à tort à la présence d’un frein de langue. On dit également aux parents de se rendre chez l’ostéopathe ou chez le chiropracteur après la naissance pour libérer des tensions, ce qui semble également une porte d’entrée dans ces réseaux. Les consultantes en lactation, médecins traitants, pédiatres ne sont alors consultés qu’en dernier recours quand la freinotomie a déjà eu lieu et que les difficultés persistent ou augmentent (refus du sein, arrêt de l’allaitement, ralentissement de la croissance).


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Ce discours fondé sur des croyances trouve un terreau fertile sur les réseaux sociaux où il est très abondamment diffusé et apprécié des parents, mais malheureusement surtout de certains professionnels de santé qui s’éloignent des données acquises concernant l’allaitement et s’affranchissent des données scientifiques actuelles [9].

Collectif No FakeMed

Références :


[1] Madlon-Kay DJ, Ricke LA, Baker NJ, DeFor TA. “Case series of 148 tongue-tied newborn babies evaluated with the assessment tool for lingual frenulum function”, Midwifery, 2008 ; 24 (3) : 353-357.
[2] O’Shea JE et coll « Frenotomy for tongue tie in newborn infants”, Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 3.
[3] NICE “Division of ankyloglossia (tongue-tie) for breastfeeding”, International Procedure Guidance 149, 2005. https://www.nice.org.uk/guidance/ipg149
[4] Australian Dental Association “Ankyloglossia and Oral Frena Consensus Statement”, 2020 : 26 pages. https://www.ada.org.au/Ankyloglossia-Statement-Doc.aspx
[5] Anna H. Messner, Jonathan Walsh, Richard M. Rosenfeld et al.” Clinical Consensus Statement: Ankyloglossia in Children”, Otolaryngology, Head and Neck Surgery, 2020, Vol. 162(5) : 597–611
[6] https://info-allaitement.org/ressources-en-ligne/ankyloglossie-freins-restrictictifs-buccaux-prise-deposition-de-lacademy-of-6breastfeeding-medicine/
[7] Fraser L et coll « Posterior tongue tie and lip tie: a lucrative private industry where the evidence is uncertain”, BMJ 2020 ; 371 : m3928.
[8] https://info-allaitement.org/ressources-en-ligne/ankyloglossie-freins-restrictictifs-buccaux-prise-deposition-de-academy-of-breastfeeding-medicine/
[9] Azad MB et coll “Breastfeeding and the origins of health: Interdisciplinary perspectives and priorities”,
Matern Child Nutr 2021 ; 17(2) : e13109.